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Hume c’est du foin
Le foin, c’est un parfum

Hume c’est du foin

Le transférer dans nos assiettes, c'est en admirer et en goûter la vue. Et puis le foin, c'est un parfum qui, si l'on en croit nos voisins du Tyrol, est plein de bienfaits pour notre santé…

06/09/2023

Bébère qu'il s'appelait, la casquette toujours vissée sur la tête comme le mégot à la bouche. Il habitait à un jet de prunes de chez le Vieux. Dans une ferme opulente. Enfin, «habiter» est un bien grand mot. Il créchait entre une étable et une grange, juste derrière la "cuisine des cochons" comme on disait parce qu'on y faisait cuire toutes sortes de ragougnasses pour les animaux. L'hiver surtout quand on allumait la cuisinière à bois qui servait aussi à chauffer la carrée de Bébère. Plus qu'une piaule, c'était une sorte de niche avec un lit en fer sur lequel était posé un informe matelas à carreaux blancs et bleus dont chaque année Bébère changeait la garniture qui nous fascinait : du foin.

Bois de bouleau
On était pourtant à l'ère du matelas Epéda mais pour rien au monde Bébère n'aurait troqué sa couche d'herbes sèches contre une literie moderne. Du foin, il en mettait partout : dans son oreiller bien sûr mais aussi dans ses sabots en bois de bouleau. Il était le dernier client du sabotier, son copain d'enfance, qui était devenu avec l'âge sourd comme un pot. Ce qui ne les empêchait pas de tailler la bavette en éclusant du rouge étoilé. Bébère apportait les bouteilles dans les sacoches de sa Mobylette, bien calées avec du foin pour éviter la casse. Quand son cyclomoteur ramenait Bébère avec ses nouveaux sabots et une cuite d'équinoxe, il avait le vin braillard. Il posait sa Mobylette contre l'imposante pompe à eau en fonte sur la place du village où il jactait un sabir imbitable, à l'exception de quelques mots en allemand, réminiscence de ces cinq années, prisonnier dans un stalag. A l'époque, la fin de la guerre n'était pas encore très éloignée et causer boche à proximité du monument aux morts, ça faisait désordre. Il n'y avait que notre Vieux pour résonner Bébère quand la bise soufflait ainsi dans sa tête. Il le prenait par les épaules alors qu'il boxait l'air et le ramenait doucement à la ferme où il le couchait sur son matelas de foin.

Tracteur
Il faut dire que ses patrons s'en foutaient complètement, de Bébère. C'était deux frères qui ne juraient que par l'azote dans leurs champs et étaient davantage amoureux de leur dernier tracteur John Deere que de leurs épouses qui bovarisaient devant la toute nouvelle télé couleur. Pour eux, Bébère faisait partie des meubles de la ferme comme le tas de fumier derrière l'écurie, c'est-à-dire que l'on passait à côté de lui sans le voir. Pourtant, ça n'avait pas toujours été comme ça, les parents de ses tauliers «avaient été des gens bien», qu'il disait au Vieux. A l'époque il mangeait à leur table «même le dimanche après la messe» qu'il répétait. Alors qu'après, avec leurs enfants, on lui donnait une boîte à fricot rempli de rogatons qu'il mangeait seul dans son antre. Cela dit, «ça avait du bon» prétendait Bébère. Le soir, il se faisait «sa soupe» avec des légumes en morceaux, pas moulinés et une couenne de lard et il faisait chabrot avec le gros rouge dans le fond de son assiette.

Jean Genet
L'histoire de Bébère était à la fois banale et poignante. Il faisait partie de ces milliers d'orphelins et d'enfants abandonnés placés par l'Assistance publique de Paris dans des familles paysannes du Morvan entre le XIXe siècle et la fin des années 50. On les appelait «les petits Paris». Né de père inconnu et abandonné par sa mère, Jean Genet, écrivain, poète et dramaturge (1910-1986) fut ainsi envoyé dans une famille nourricière à Alligny-en-Morvan de 1911 à 1924. Ces familles étaient rétribuées jusqu'à ce que l'enfant placé ait 13 ans, âge qui marquait la fin de la scolarité obligatoire. Au-delà de 13 ans, ceux considérés comme les plus doués étaient orientés vers des écoles professionnelles où ils apprenaient l'horticulture, l'ébénisterie ou la typographie comme Jean Genet. Les autres fournissaient des bras pour les travaux agricoles. On les recrutait à la Saint-Jean lors des «louées», foires à l'embauche où les pupilles se signalent en tenant une feuille de marronnier. D'autres restaient dans leur famille nourricière jusqu'à leur dernier souffle. Une vie de commis de ferme comme Bébère.

Mc Cormick rouge
Pour nous, c'était du bonheur de le suivre durant les vacances. A l'herbe aux lapins, au ramassage des patates, à la coupe au bois. Il avait le droit de conduire le vieux McCormick rouge tandis que ses Thénardiers se pavanaient sur leur John Deere vert. A lui le sale, l'ingrat boulot contre quelques pièces pour s'acheter du rouquin. Le purin, les cochons, les prés accidentés où il fallait encore couper le foin à la faux et le faner à la fourche et au râteau. Mais pour Bébère, cette pénibilité rimait avec liberté. Il fallait le voir nous faire humer «son foin» comme il disait : «Mais vingt dieux, sens comme ça sent bon. Avec ça, les vaches vont nous faire un sacré lait cet hiver.» Nous, on respirait surtout le serpolet, l'entêtant thym des collines et on était un peu grisé par la Champigneulles qui rafraîchissait dans le ruisseau alors que le festin allait commencer : soit un imposant quignon de pain sur lequel on posait le lard divin que Bébère cuisait dans une vieille cocotte en fonte noire tapissée de foin. Pour nous, c'était le Nirvana à l'ère du Tang et des Danerolles.

Cercueil
Quand le Vieux nous a téléphoné pour nous dire que Bébère s'était endormi pour toujours à l'hospice, on a eu un méchant éclair de tristesse mais le Vieux nous a fait sourire : "Tu sais ce qu'il avait demandé Bébère pour quand il serait mort ? Qu'on tapisse son cercueil de foin." 

Arnaud Bachelin
On vous a déniché une réjouissante recette de "rôti de jambon fumé à au foin, pommes de terre à la sauge" dans Le foin, dix façons de le préparer d'Arnaud Bachelin, né à Avallon, aux portes du Morvan dans une famille ancrée dans la terre et le paysage local. Il vit aujourd'hui à Paris où il gère la maison de thé Thé-ritoires. Il écrit : «Le glanage et la cuisine sauvages font partie intégrante de ma culture, et je ne recule jamais devant l'expérimentation de la cuisine des plantes. La première fois que j'ai mangé du foin, je devais avoir une dizaine d'années. C'était un repas ordinaire où le fromage avait été conservé une semaine durant dans un garde-manger rempli de foin. J'avais été à l'époque enchanté par le parfum qu'avaient pris les produits laitiers ainsi présentés.» Arnaud Bachelin écrit si justement «Le foin, ce n'est pas qu'une botte d'herbes sèches. Il raconte toute une prairie, tout un paysage, tout un écosystème. Le transférer dans nos assiettes, c'est en admirer et en goûter la vue. Et puis le foin, c'est un parfum qui, si l'on en croit nos voisins du Tyrol, est plein de bienfaits pour notre santé.» Pour sa recette qui fera le bonheur d'une grande tablée, il vous faut 2 belles poignées de foin ; 8 grosses pommes de terre ; un bouquet de sauge ; un jambon cuit à l'os d'environ 3 kilos ; une belle quantité de clous de girofle ; 4 cuillères à soupe de sirop d'érable ; 6 cuillères à soupe de ketchup ; 3 cuillères à soupe de sauce soja salée ; une cuillère à soupe de paprika ; de l'huile d'olive ; du beurre ; du sel et du poivre. Piquez le jambon avec les clous de girofle avant de le déposer au fond d'une cocotte, préalablement tapissé d'une poignée de foin. Couvrez le jambon avec le reste du foin et abondamment d'eau, portez à ébullition. Aux premiers gros bouillons, réduisez le feu et laissez mijoter ainsi pendant trois heures. Egouttez le jambon. Préchauffez votre four à 200 degrés. Préparez le glaçage du jambon en mélangeant le sirop d'érable, le ketchup, la sauce soja et le paprika avec trois cuillères à soupe d'huile d'olive. Badigeonnez-le abondamment de sauce et enfournez pendant une heure. Le jambon doit se revêtir d'une belle couleur caramel. Coupez les pommes de terre en deux dans le sens de la hauteur. Faites de petites incisions sur toute la hauteur, que vous remplirez de beurre. Déposez-les sur la lèchefrite et couvrez-les de feuilles de sauge. Arrosez d'huile d'olive abondamment et cuisez une heure à 190 degrés. Les pommes de terre doivent confire et dorer. Servez ces pommes de terre lanternes avec le jambon rôti.
Jacky Durand, Libération 30-09-21

Thé-ritoires : 5 Rue de Condé, 75006 Paris
Le foin, 10 façons de le préparer

Thèmes : le foin, dix façons de préparer, Arnaud Bachelin, Jean Genet, Morvan

 


 
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