Ce jour-là, elle s’était presque excusée : "Je sais fabriquer des choses solides aussi. Je sais faire de la soudure par exemple". Mais son travail a investi une autre direction. En prenant précisément un appui paradoxal sur une apparente fragilité, Martine Camillieri donne une nouvelle dimension au recueillement. Elle élève désormais des autels qui fascinent par les astuces de leur architecture, qui séduisent par leur simplicité sophistiquée, qui interrogent aussi, parce qu’ils nous convoquent sur une certaine idée de la disparition.
Alors non, rien n’est soudé, ni collé, elle privilégie plutôt le geste léger, malicieux. Elle retourne, renverse, empile, accumule, réunit, suspend les éléments de nos quotidiens. Elle structure nos banalités et recueille notre ferveur étonnée devant des dieux décalés ou affolés. Le chat japonais porte-bonheur est au bord de l’asphyxie dans un univers de polystyrène, son sourire figé avalé par un masque nous manque. Un Bambi décapité contemple la surenchère pastel qui entoure un Ganesh repu de tant de sucreries sirupeuses. Elle détourne l’objet le plus trivial en élément indispensable d’une structure esthétique, elle rend légitime toutes les collections, elle donne une excellente excuse à tous ceux qui ne peuvent se résoudre à jeter leur série de saladiers, de pinces à linge, de seaux, de bassines, de petites pelles à ordures, de brosses colorées, de moules en fer blanc, d’un autre temps. Car elle ne se contente pas d’amuser, elle souligne aussi avec une délicatesse gourmande la rusticité généreuse des gâteaux rétro, les flans pâtissiers pimpants ou les savarins dorés, qui n’ont jamais eu autant de relief que dans ces moules qui accrochaient un peu.
Elle s’échappe parfois d’un univers strictement domestique, et renvoie chacun à sa moralité personnelle devant des dauphins crevés, immobilisés. Par leur essence même, ses autels se démontent, se transportent, voyagent, se reconstruisent ailleurs, disparaissent en quelques gestes, sont soumis aux aléas de l’inconscient, comme lorsque j’ai voulu les photographier et que ma pellicule a pris la lumière, me privant définitivement de leur possession, rendant encore plus précieux leur souvenir. Derrière le plastique, les incantations d’allure ludique prennent une dimension métaphysique.
Que restera-t-il de nos objets, de nos existences matérialistes, de nos accumulations oubliées, que restera-t-il de nous ?
Martine Camillieri a même fini par recenser et cartographier nos objets perdus dans les endroits les plus insolites. Elle rend ainsi un hommage secret et discret à la main attentionnée qui aura mis à l’abri ce gant esseulé ou ce doudou recroquevillé. Elle interroge alors davantage l’histoire qui a conduit à la perte plutôt que d’éventuelles retrouvailles. Elle tente de saisir l’insaisissable, elle aborde notre finitude avec une infinie délicatesse et laisse une œuvre poétique finalement solide, même sans soudure.
Patoumi, auteur du blog
Poppies in October
Exposition du 3 novembre au 31 décembre
Fondation espace écureuil à Toulouse – 3, place du Capitole.
Du mardi au samedi de 11h à 19h30 et les 1er dimanches du mois de 15h à 19h30.
Entrée libre
Le site de Martine Camillieri :
www.martinecamillieri.com
Retrouvez tout son travail dans
Petits riens... & nothing more